Et si, demain, les rails ne se contentaient plus de guider les trains, mais produisaient aussi l’électricité qui les alimente ? Les chemins de fer, longtemps perçus uniquement comme des vecteurs de transport, pourraient bien devenir des producteurs d’énergie à part entière. Ce scénario, qui semblait encore utopique il y a quelques années, prend forme aujourd’hui à travers des initiatives concrètes. Entre innovation radicale en Suisse et déploiements pragmatiques en Belgique, un nouveau chapitre s’écrit dans la relation entre mobilité et énergie.
Une révolution silencieuse sur les rails suisses
En Suisse, une entreprise vaudoise baptisée Sun-Ways développe une technologie aussi novatrice que prometteuse : des panneaux solaires amovibles déployés directement entre les rails. Contrairement aux installations classiques sur toiture ou au sol, leur système s’appuie sur l’espace inter-rail, généralement inutilisé, pour y dérouler des modules photovoltaïques préassemblés. L’opération est entièrement mécanisée : une rame spécialement conçue déroule les panneaux comme un tapis solaire le long des voies, sans modifier l’infrastructure ferroviaire existante ni perturber le trafic.
Ce projet, soutenu par des partenaires suisses tels que la HEIG-VD (Haute école d’ingénierie) et l’entreprise Scheuchzer SA, a obtenu l’aval des autorités fédérales après dix mois d’analyse. Le premier test grandeur nature est en cours sur le réseau transN à Neuchâtel. Si les résultats sont concluants, la technologie pourrait équiper progressivement jusqu’à 7 millions de mètres carrés de voies ferrées, c’est l’équivalent de 350.000 toits de maisons équipés de panneaux solaires, sur le territoire suisse. Cela représenterait une production théorique de 1 TWh/an.
Mais l’ambition de Sun-Ways ne s’arrête pas aux Alpes : des discussions sont déjà en cours avec la SNCF, des opérateurs sud-coréens, chinois ou encore américains. L’objectif ? Exporter cette technologie de « ferrovoltaïsme », un mot-valise entre « ferroviaire » et « photovoltaïque », dans des contextes variés où les infrastructures ferroviaires sont denses mais sous-exploitées énergétiquement.
Au-delà de son innovation technique, le modèle suisse présente un avantage environnemental et territorial majeur : il n’exige aucun terrain supplémentaire, ne modifie pas le paysage, et permet une réversibilité totale. Les panneaux peuvent être démontés rapidement en cas de besoin ou d’entretien. Une manière intelligente et durable d’exploiter l’infrastructure existante, sans conflit d’usage avec l’agriculture, l’urbanisme ou la biodiversité.
En Belgique, le rail produit déjà de l’énergie
Pendant que la Suisse prépare cette percée technologique, la Belgique, elle, avance sur un autre front : celui du déploiement massif de panneaux photovoltaïques sur et autour de ses infrastructures ferroviaires existantes. L’opérateur public Infrabel multiplie les projets sur ses toitures, ses terrains adjacents et même en bordure de voies à grande vitesse.
Le projet le plus emblématique est sans doute celui d’Avernas (Liège), avec 3 828 panneaux solaires installés sur 3 hectares, connectés directement à une sous-station de traction, alimentant chaque semaine 470 trains empruntant la ligne Louvain-Liège. Cette centrale produit environ 2 700 mégawattheures par an (2,7 GWh/an), ce qui, ramené à une consommation résidentielle, permettrait d’alimenter 650 ménages.
À Bascoup, dans le Hainaut, un projet plus modeste prévoit d’ici fin 2025 l’installation de 1 794 panneaux sur une surface de 3 000 m², pour une production annuelle de 500 000 kWh. Cela équivaut à la consommation moyenne de 110 à 125 ménages. Ces panneaux serviront prioritairement le site d’Infrabel lui-même, avec un éventuel surplus injecté sur le réseau électrique via Ores.
Encore plus innovant, le site de Boutersem, en Brabant flamand, accueillera la première installation européenne de type PV2C (photovoltaic to catenary), où l’électricité produite par les panneaux est injectée directement dans les caténaires alimentant les trains. Ce projet unique en son genre, qui se déploiera le long de la ligne à grande vitesse entre Louvain et Liège, affiche une puissance prévue de 2 MWc, approximativement l’équivalent de la consommation annuelle moyenne de 500 ménages. Les travaux débuteront cet automne pour une mise en service prévue dans le courant de l’année 2027.
Objectif 2026 : une énergie ferroviaire plus verte
Aujourd’hui, environ 3 % de l’électricité consommée par Infrabel est d’origine solaire. L’objectif fixé est ambitieux : tripler cette part d’ici 2026 pour atteindre environ 10 %. Cet engagement s’inscrit pleinement dans les cadres stratégiques européens comme le Green Deal, adopté en 2019 par la Commission européenne, qui vise à faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050. Ce pacte inclut notamment une forte réduction des émissions de gaz à effet de serre, une transition vers les énergies renouvelables, et une meilleure efficacité énergétique dans les transports.
Par ailleurs, Infrabel contribue également aux Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations unies, en particulier les objectifs 7 (énergie propre), 9 (infrastructure durable) et 13 (lutte contre les changements climatiques).
Une complémentarité inspirante
Ce que montrent ces deux exemples, c’est qu’il n’existe pas une seule bonne réponse, mais plutôt une complémentarité d’approches. La Suisse explore une solution radicalement nouvelle, potentiellement exportable et à fort impact à long terme. La Belgique, elle, adopte une logique de valorisation immédiate de son patrimoine ferroviaire, en y greffant des solutions éprouvées et évolutives.
Dans les deux cas, le rail se transforme en acteur actif de la production énergétique, et non plus simple consommateur. Il devient un puissant levier de transition, à la croisée de la mobilité propre et de la souveraineté énergétique.